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VERS UNE PALETFORME INDUSTRIELLE REGIONALE DE VIANDE ROUGE EN TUNISIE

Une importante délégation de cinq hommes d’affaires français opérant dans le domaine des viandes rouges a visité la Tunisie entre le 2 et le 4 mai dans le but d’étudier la possibilité de lancer un grand projet destiné à installer en Tunisie une unité de transformation des viandes rouges à destination de la Libye.
Organisée par l’association parisienne Entreprendre en Tunisie, présidée par Mme Samira Labidi , une franco-tunisienne chef d’entreprise en France, cette visite entre dans le cadre des activités de l’association dont le but est de rapprocher les entrepreneurs des deux pays et d’installer des passerelles pour inciter les investisseurs français à s’implanter en Tunisie dans le but de booster son développement et de contribuer, par là, à résorber le chômage endémique qui frappe le pays. « Notre association fait un travail solidaire destiné à venir en aide aux Tunisiens et à contribuer à l’éradication de la précarité en Tunisie. Notre but premier est d’aider les jeunes frappés par le chômage. Nous sommes un groupe de bénévoles dans l’association à agir pour faire bouger les choses. Nous avons de grandes compétences qui actionnent leurs réseaux, préparent des dossiers, proposent des opportunités aux entrepreneurs français, les mettent en contact avec les décideurs en Tunisie et les accompagnent dans leurs démarches. Notre souhait est de voir le pays repartir sur des bases économiques solides pour résoudre les problèmes des jeunes,» nous a indiqué Mme Labidi.
La délégation française était présidée par Dominique Langlois, chairman de SVA Jean Rozé et Président d’INTERBEV, l’association française interprofessionnelle du bétail et des viandes. Il était accompagné de Guy Hermouet, Président de la section INTERBEV Gros bovins, de Carol Deloume , directrice du Groupement pour l’Export français, et des éleveurs Jean-Marc Alibert, Président de Herd-Book Limousin et Morgan Guezet , directeur à Elivia.
De nombreux partenaires tunisiens, officiels et privés, ont pu étudier les différents dossiers de la filière bovine et discuter des opportunités qui s’offrent aux investisseurs français dans ce secteur. M. Abdellatif Ghedira, Directeur général de l’Agence de promotion des investissements agricoles (APIA) a mis en place, pour la délégation française, une série de visites de terrain à Tunis et à Mahdia en plus de séances de présentation qui ont montré les atouts, les insuffisances et les enjeux du secteur des viandes rouges.
Une volonté de coopérer
La délégation a pu aussi mesurer la volonté politique des membres du gouvernement rencontrés de relancer ce secteur vital de l’économie qui représente 14% de la production agricole totale et touche tous les foyers tunisiens. Le ministre de l’agriculture, M. Mohamed Ben Salem, a affirmé sa volonté de renforcer la coopération triangulaire Tunisie-France-Libye, d’encourager les initiatives de coopération. « La volonté est là des deux côtés pour que ce projet réussisse », a dit le ministre tout en signalant qu’il était ouvert à « d’autres projets avec des partenaires français ». De son côté, M. Abdelfattah Maatar, ministre de la formation professionnelle et de l’emploi a exprimé sa disposition à « instaurer un partenariat de formation entre INTERBEV et les instituts tunisiens de formation » tout en insistant sur « la formation pour l’entreprise ».
Le projet présenté par M. Langlois comprend « l’installation en Tunisie d’une structure de transformation, de gros volume, de la viande rouge, prête à être consommée, destinée au marché libyen, le transfert du savoir-faire dans le travail de la viande, des connaissances en matière de formation de formateurs, l’assistance pour la formation de techniciens en découpe et la formation de bouchers qui valorisent le produit ».

Un secteur en détresse

Une image contrastée s’est dégagée à la suite des différentes visites de terrain et des discussions auxquelles ont participé des responsables de l’APIA, de l’Office de l’élevage et des pâturages, du groupement interprofessionnel des viandes rouges et du lait (GIVRLAIT) ainsi que le syndicat des bouchers, le Centre sectoriel de formation des métiers de viande rouge et l’Agence de vulgarisation et de la formation agricole.
La filière des viandes rouges semble, d’un côté, constituer de grandes opportunités, présenter des atouts incontestables en capital humain et financier et, d’un autre côté, donner l’image d’un secteur désorganisé qui ne maîtrise pas correctement toutes les chaînes qui relient les différents acteurs entre eux. D’après les chiffres officiels, la production de viande rouge a représenté, en 2011, 121.000 tonnes dont 51% provenant de taurillons élevés et engraissés et 35% de vaches de réformes. Le secteur assure 98% de la viande consommée. La viande importée pour la consommation ne représente que 2% des viandes. C’est dire les atouts dont bénéficie la filière. « Il y a un gros besoin d’organisation au niveau de tous les maillons », pense Carol Deloume, Directrice du Groupement pour l’Export français. « Il y a un besoin de poser une base claire, carrée, organisée, avant de penser au développement du secteur. Cela commence par l’identification des animaux, la traçabilité, les techniques de pesée, avant de se lancer dans des projets qui demandent du professionnalisme. »
Le secteur reste, en effet, très largement traditionnel. 8500 bouchers fournissent 95% de la viande aux consommateurs. A titre d’exemple, le rapport est inverse en France où 80% de la viande est distribuée en Grandes Surfaces alors que la boucherie traditionnelle (de terroir et spécialisée) ne représente que 15% de l’activité, le reste (5%) est réservé à la viande halal et casher.
En Tunisie, plus de 100.000 éleveurs de bovins, en majorité dans de petites propriétés, travaillent sans aucune organisation syndicale et font face à une ribambelle d’intermédiaires qui agissent dans les marchés aux bestiaux municipaux et dans plus de 200 abattoirs archaïques et insalubres. Entre les éleveurs et les consommateurs, plus de 3.000 intervenants, maquillions, chevillards, bouchers grossistes, grossistes industriels, bouchers détaillants, font obligatoirement grimper les prix. A tel enseigne que, considérant le pouvoir d’achat des deux côtés, les partenaires français ont estimé la viande vendue en Tunisie … plus chère qu’en France ! « Ce que je peux regretter, moi-même étant producteur, c’est que je n’ai pas senti la production très investie dans cette interprofession. Malgré tout, il y a une volonté de la Tunisie de rechercher des compétences en qualité de travail sur les viandes, en qualité sanitaire dans les abattoirs, mais aussi de développer un marché donnant une image très positive », a déclaré Guy Hermouet à l’issue de la visite d’un abattoir et d’une ferme d’engraissement.

Les enjeux de la filière

Les enjeux sont de taille. D’abord, organiser la filière des éleveurs. C’est le défi que se sont lancés Habib Jedidi, Président du Conseil de GIVRLAIT et Lotfi Chamakhi, son Directeur général. Ensuite, mettre à plat le système pour le moderniser, le rationaliser et éliminer le maximum d’intermédiaires qui grèvent le système. La coopération souhaitée avec INTERBEV, entamée lors de cette visite avec de profondes discussions sur les différents niveaux d’intervention, débouchera certainement sur une rationalisation du secteur. Toujours est-il qu’à terme, GIVRLAIT, qui reste sous tutelle du ministère de l’agriculture, devrait fonctionner dans l’avenir comme un organisme indépendant qui représente la filière bovine dans le pays, le cadre légal étant déjà fixé par la Loi de 2005 qui organise le secteur. Jean-Marc Alibert de Herd-Book Limousin a été tranchant dans son jugement : « Ce qui m’a marqué, et c’est flagrant, c’est le manque d’organisation des producteurs. C’est des petits éleveurs qui ont besoin de se regrouper pour pouvoir travailler de manière plus cohérente et plus efficace même si pour la plupart des éleveurs c’est une production annexe. Il faudrait qu’il y ait des unités d’élevage un peu plus grandes et qui se regroupent entre eux pour pouvoir travailler de manière efficace. »
Des plans sont déjà mis en place pour réduire le nombre d’abattoirs traditionnels, de lancer de nouveaux abattoirs professionnels et industriels pour garantir l’aspect sanitaire de la filière. Aujourd’hui, 35% de l’abattage se fait en-dehors de tout contrôle. La sécurité sanitaire est relativement prise en compte dans le reste des abattoirs municipaux. Pour Guy Hermouet, « on peut accompagner dans certaines connaissances que l’on a , que ce soit au niveau sanitaire dans les abattoirs , parce qu’on a du professionnalisme, ou au niveau de la boucherie où il y a une volonté d’avoir des professionnels de la viande qui peuvent travailler et communiquer sur la viande en vue d’avoir une filière forte. »
Un autre grand chantier entamé, celui de l’identification du cheptel, de la traçabilité des viandes commercialisées. M. Salem Dahmane, Directeur régional de L’Office de l’élevage et des pâturages de Mahdia, a montré aux visiteurs français une ferme où l’élevage est rationalisé, les bêtes sont identifiées et où la traçabilité est contrôlée. Mais le chemin reste long pour étendre ce système à tous les élevages du pays. « Je regrette qu’on n’ait pas vu de vrais élevages, » a indiqué Jean-Marc Alibert. Pour lui, « c’est intéressant de voir le travail que font les différents offices au niveau national et régional. On voit qu’il y a un vrai travail qui est fait qui débouchera, un jour ou l’autre, sur la mise en place de vraies techniques et qui permettront aux éleveurs de développer leur production. »
Pour le moment, les objectifs immédiats sont identifiés : installer en Tunisie une unité de transformation des viandes à destination de la Libye. M. Langlois, Président d’INTERBEV, souhaite une unité capable de traiter en volume les viandes à l’exportation. Ce qui augure d’un gros investissement et de possibilités d’emploi pérennes. D’autres secteurs d’activités bénéficieront, de façon collatérale, de ce projet, comme celui du transport frigorifique et de la formation professionnelle puisqu’INTERBEV est tenue de respecter les normes européennes en matière de travail et de valorisation de la viande rouge, donc de former ses techniciens en conséquence.
S’ouvre, à présent, la phase d’élaboration de projets concrets entre les partenaires français et tunisiens. Rendez-vous est déjà pris pour le Salon International de l’Investissement et de la Technologie Agricole (SIAT 2012) qui se tiendra à Tunis du 10 au 13 octobre et qui verra, sans doute, la signature des premières conventions d’accord, à moins que l’urgence ne détermine des dates plus rapprochées.

Zine Elabidine Hamda
Journal Le Temps-Tunisie